Passage à l'école

Mardi 14 octobre 2014

Nous nous levons de bonne heure, vers 6h30. Nous restons une quarantaine de minutes à regarder la préparation du petit déjeuner et Laurie peut même mettre la main à la patte. Nous sommes rejoint dans la cuisine par Nanataram, le père de famille à la voix caverneuse. Ici, dans la cuisine, l'écho de sa voix est assez impressionnant. N'oublions pas de sourire et de ne pas le mettre en colère...

Disposant d'un peu de temps libre, nous montons sur la terrasse voir les environs. Au même moment, dans la cour, Tchampa effectue la puja, la prière, devant une petite niche cachée par un rideau rouge : elle ouvre celui-ci et procède à une fumigation de l'autel sacré. Devant la maison, le grand-père de la famille débarque. Lui est d'autant plus frêle que son gendre est costaud. Il a même un look assez rigolo. Selon Jimmy quand il parle, on ne comprend que la moitié de ce qu'il dit notamment car il utilise un dialecte local. Nous passons enfin un peu de temps avec notre chevreau-"chien" tellement celui-ci se comporte comme un animal de compagnie et rentre partout où il peut.

Peu à peu, les écolières de la famille en 8ème, 9ème et 10ème années se rassemblent ici parfois accompagnées de personnes du groupe. Les jeunes filles portent un uniforme bleu et blanc. Alors qu'initialement elles devaient prendre le car de ramassage scolaire, elles vont finalement venir avec nous dans le minibus car nous nous rendons aussi à l'école.

Vue depuis la terrasse sur la propriété familiale

Notre cour intérieure et la niche pour la prière

Ramih

Le grand-père

Les écolières en uniforme

Nous partons tous ensemble pour un petit temple au sommet d'une colline surplombant le village : le temple de Sati. Sati est une pratique ancienne mais barbare : au décès de son époux, la femme s'immolait sur le bûcher funéraire de son mari. Les Anglais se sont longuement opposés à cette pratique mais en vain. Ici, le dernier "sacrifice" remonte à environ 100 ans ! En pénétrant dans le sanctuaire, il faut toucher le pas de la porte du bout des doigts de la main droite, se toucher ensuite le front et enfin faire tinter une petite clochette suspendue au-dessus de nous. Les écolières prient un instant devant la divinité puis nous invitent à faire le tour de sa loge. A l'issue de celui-ci, une nouvelle cloche est à faire résonner. Une fillette m'entrainant et ayant raté la queue du Mickey au premier passage, je repars pour un second tour. Je suis sûr que ça ne peut pas faire de mal ...

Nous réembarquons pour l'école à quelques tours de roues à peine. Nous entrons dans la cour à la suite des filles de notre maisonnée et sommes de suite entourés d'une marée bleue. Nous nous dirigeons vers le bureau des enseignants, 7 adultes pour 250 élèves. Le personnel s'empresse de nous apporter une chaise à chacun ne concevant pas que nous nous asseyions par terre. Je ne suis pas trop à l'aise avec ce traitement de faveur mais m'exécute par respect pour l'attention. Jimmy nous délivre alors quelques explications variées : l'uniforme obligatoire aussi bien dans le privé que dans le public, la nécessité d'acheter ses livres et cahiers avant 2005, la propension de certaines familles à envoyer leur progéniture plus pour le repas que pour les études, la présence d'une cuisinière payée par le gouvernement et le passage d'un docteur une fois par mois. Pour les jeunes filles, un vélo leur est offert ou un bus mis à disposition gratuitement pour les inciter à venir étant donné qu'elles ont, dans les faits, moins de chances d'accéder à l'éducation. Les garçons ne reçoivent rien car ils risquent de revendre le vélo au marché... La meilleure élève de 10ème année et de 12ème année reçoit une vespa ou une tablette. Enfin, les horaires ne sont pas trop contraignants : 10h - 16h30.

Pendant que nous écoutons, les élèves se mettent en rang sous une aile du bâtiment. Les filles d'un côté, les garçons de l'autre, séparés par un espace avec trois adultes au milieu. Tous commencent à chanter un hymne en hommage à la déesse de la connaissance, Sarasvatî, épouse de Brahma. A la fin de celui-ci, chacun met la main droite à hauteur de l'épaule de son voisin de devant et tous entonnent en choeur un nouveau chant qui dépeint successivement l'armée, les paysans et l'école comme principales garanties d'un avenir radieux au cours de l'Histoire. Les derniers retardataires arrivent en courant, jettent leur cartable et se défont de leurs chaussures avant de rentrer dans le rang là où ils peuvent. L'entrée en matière s'achève. Nous prenons place dans l'espace central alors qu'a débuté une interrogation sur les enseignements dispensés ces derniers jours. Une question est formulée, plein de mains se lèvent une fois à gauche (du côte des filles), une fois à droite (du côté des garçons) à tour de rôle, une seule est désignée; l'élève se lève, donne sa réponse et se rassoit illico. Très rapidement, les questions dévient sur nous : notre pays et notre mode de vie. Nous sommes mêmes interrogés par quelques curieux moins timides que les autres. Après cette séance, nous sommes invités à nous présenter : prénom, région et métier. Ayant bûché les phrases basiques avant de venir en Inde, je parviens à délivrer la première information en hindi (Mera naam Philippe hai) ce qui déclenche des applaudissements et des rires. Comme pour l'anglais je dois avoir un accent à couper au couteau, voire j'ai peut-être dit quelque chose de complètement différent et involontaire comme "j'aime les oignons" ou "j'ai un gros nez". Allez savoir ! Pour la fin, je reviens sagement à l'anglais qui m'est à peine plus accessible. Une petite pause nous permet de visiter rapidement les salles de classes : quelques pupitres au ras du sol et 1 ou 2 tableaux, rarement plus.

Pour finir la visite, des jeunes filles chantent l'hymne national indien. En retour, nous optons pour un classique français : Aux Champs Elysées. Puis on nous sollicite pour entonner notre hymne. C'est là que le bât blesse : sur 8 personnes, seul Jean-Luc connaît l'ensemble des paroles tandis que nous décrochons sur quelques strophes ... Ca a dû leur faire bizarre lorsqu'ils s'en sont rendus compte !

La dispersion est prononcée. Nous retournons vers le minibus et deux jeunes garçons tentent de réclamer de l'argent ...

Passage par le temple de Sati

Ecoliers lors du chant louant les vertus de l'éducation

Les écolières assises en rang

Une salle de classe

Au moment de partir ...

Nous repartons avec, à notre bord, Lalaram qui est notre guide et sa fille Saloni qui bénéficie d'une journée chômée dans son école privée. Nous nous dirigeons vers un champ de pastèques pour en goûter. Mais celles-ci doivent se mériter : pour entrer dans le champ et rejoindre les agriculteurs, il faut soit enjamber, soit passer au-dessous d'une clôture en fils barbelés. Nous passons tous avec succès mais c'est alors que le second piège se referme sur nous : nous retrouvons sans aucun plaisir nos plantes accrocheuses, genre "chardons", que l'on avait découvertes chez Sushila ... Un peu égratignés, nous parvenons aux fruits et en dégustons quelques-uns qui nous ont été offerts par Jimmy et Lalaram. La plus téméraire d'entre nous, se prenant sûrement pour une fakir, décide même de s'asseoir directement sur un buisson de plantes piquantes ... Jamais dans la demi-mesure ! Franchement, j'admire ton courage et plus encore je compatis à ta douleur. Dis, tu as pu te rasseoir depuis ?

Nous retournons ensuite dans nos familles pour le déjeuner, l'occasion d'une bonne tranche de rire entre deux plats épicés. Pas le temps de digérer, il nous faut déjà repartir vers Ramdeora car nous allons au temple de Baba Ramdevji, un homme qui, très jeune, aurait atteint le statut de saint, serait devenu une réincarnation de Krishna et un dieu pour les intouchables. Bouddhistes, jaïns, sikhs et musulmans reconnaissent ce personnage et affluent ainsi en masse vers ce lieu de pèlerinage notamment au mois d'août. Avec nous, Lalaram et Saloni auxquels se sont joints Lakshmi et un petit garçon de la famille. On accède au temple par une haute galerie couverte de tôle ondulée. Jimmy nous remet à chacun des sucreries à échanger contre d'autres au cours du parcours. Nous recevons également une marque sur le front. Juste après, nous passons devant de grands chevaux de tissus puis un mur de fresques résumant les hauts-faits du saint. Un peu plus loin, un sanctuaire secondaire où il faut ramper sur ses avant-bras pour obtenir une bénédiction.

Champ de pastèques

Stand d'offrandes au temple

Plaque en argent mettant en scène le saint

Les grands chevaux en tissu

Fresque sur la vie du saint

En ressortant, nous disposons d'une heure de temps libre durant laquelle nous sommes dans un premier temps en compagnie de Saloni et Lakshmi. Nous parcourons les stands de souvenirs et de poudres rituelles à la recherche d'éventuels articles à acquérir. Puis, nous nous rendons vers un baori (puits) où l'odeur de fientes de pigeons est à la limite du tolérable. Nous fuyons ! Un double "incident" teinté d'une possible incompréhension culturelle amène notre groupe à se disloquer. L'ambiance est si lourde et la déception de certaines si fortes que je préfère, à défaut de parvenir à réduire l'amertume, m'éloigner avec Laurie pour poursuivre la découverte des environs et laisser les tensions je l'espère s'apaiser. Nous nous rendons sur les hauteurs qui surplombent un lac pas trop engageant. D'ailleurs, en débarquant là, c'est nous qui devenons les curiosités pour les rares badauds et sommes pris en photos.

Nous rejoignons alors le groupe qui est attablé à un bar. La situation ne s'est pas vraiment améliorée et quelques sourires ont provisoirement disparu. Le trajet du retour va être l'occasion de revenir à un ton plus léger et l'apparition de gazelles va changer un peu les idées. Celles-ci sont si peu farouches que c'en est impressionnant. Heureusement qu'aucun chasseur ne sévit alentours. Une avarie vient ralentir notre progression et nous marquons ainsi un arrêt dans un garage pour tenter de trouver l'origine du problème.

A la maison, Laurie s'attèle à la cuisson des chapatis maintenant qu'elle possède le tour de main tandis que je suis cantonné à la cour pour trier les haricots et éplucher l'ail. L'Inde va vraiment finir par me faire pleurer ... Après la douche et en attendant le repas, notre chevreau-"chien" est en pleine forme et assure à lui seul le spectacle : ayant probablement pris un "pet au casque", il se met à bondir partout tel le Tigrou des grands jours. Sauf que Tigrou est un personnage de dessin animé... La famille qui connaît le loustic décide alors de l'attacher avec une laisse au pied du lit mais le petit animal ne va cesser pour autant de gigoter et de tirer le couchage... Le repas est une fois de plus excellent et est couronné par un délicieux gâteau indien appelé halwa.

Enfin, comme hier, les invités débarquent au compte-goutte pour la soirée contes. Tchampa se lance la première dans son récit qui est suivi du Petit Chaperon Rouge narré par Maric. Les sourires illuminent les visages, ça fait plaisir à voir. Une bonne trentaine de personnes et deux cultures assis là, en cercle, à partager avec simplicité un moment de bonheur sous un beau ciel étoilé ...

Poudres rituelles

Baori aux fortes odeurs de fientes de pigeons

Intérieur du baori (espérance de vie limitée)

Le lac derrière le temple

Les gazelles

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