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Bikaner et Urmul

Samedi 11 octobre 2014

Lever matinal vers 5h. Premier petit-déjeuner rapide à base de fruits et de thé indien avant de prendre la route. Nous sommes en zone semi-désertique mais notre environnement est très vert, probablement suite à la mousson récente ? Nous nous arrêtons après quelques kilomètres dans la ville de Mandawa pour regarder l'extérieur d'un beau haveli appartenant à un habitant de Bombay qui revient de temps en temps sur place. Les fresques de ses façades sont d'époque et non restaurées.

Autre saut de puce en minibus pour aller prendre notre second petit-déjeuner vers 9h. Nous entrons dans un restaurant en bordure de route et allons goûter 2 spécialités : un biscuit à base de lait concentré et un feuilleté au curry. J'avoue préférer amplement le second. Aussi quand on me sollicite pour aider à terminer le premier, je passe mon tour avec plaisir.

D'une traite nous rejoignons Bikaner et plus précisément son fort de Junagarh dont la création remonte au 16ème siècle et s'étale jusqu'au 18ème dans sa configuration actuelle. A l'origine de son édification, une dispute familiale à la tête de l'Etat de Jodhpur et un départ d'une partie des membres du clan qui se sont établis ici. C'est la propriété du roi local actuel qui habite près d'ici. En entrant, plusieurs cours se succèdent : les deux premières sont en grès rouge exclusivement, la troisième, incluant du marbre blanc et un bassin, était consacrée aux audiences publiques et le peuple pouvait y prendre place à même le sol, enfin la dernière distribue sur plusieurs pièces somptueuses parmi lesquelles l'Anup Mahal, le palais des fleurs et celui des nuages. Le monde étant petit, Maric et Jean-Luc retrouvent sur place des connaissances. Dire qu'il faut maintenant aller en Inde pour voir les personnes que l'on a moins le temps de voir en France. Un comble !

Vue du fort depuis le parking

Première cour en entrant

Seconde cour

Cour des audiences publiques

Fresque sur les moyens de transport

Anup Mahal

Anup Mahal - Intérieur

Palais des nuages

Par un escalier étroit, nous grimpons vers les fortifications et le toit. Passant tous ce goulet, le test est concluant pour continuer à absorber des chapatis une seconde semaine ... Nous traversons encore quelques cours (dont une avec le buisson de basilic) et quelques pièces (chambre à coucher avec la balançoire et les murs à motifs floraux) puis entamons la partie moderne du fort. Celle-ci abrite le premier ascenseur, une salle privée remplie d'armes et enfin une pièce immense avec notamment un bombardier de la première guerre mondiale. J'avoue que je n'y aurais pas pensé même si j'avais suffisamment de place chez moi.

Cour supérieure avec le buisson de basilic

Balançoire utilisée lors d'une fête du 15 août

Chambre à coucher

Cour dans la partie supérieure

Grande salle où sont exposées les armes

Bombardier de la 1ère guerre mondiale

Le repas dans une cantine où nous sommes séparés en 2 tables permet de renouer avec les épices et de découvrir le Coca local. A son terme, nous réembarquons dans le véhicule, roulons 100 mètres, demi-tour, à nouveau 100 mètres et nous y voilà ! Nous sommes juste face au restaurant ... Je crois que l'on aurait pu couvrir la distance à pied sans jouer les américains qui ne nous renieraient pas sur ce coup-là. L'après-midi est dédiée à la découverte de la fondation URMUL. Nous commençons par un brin de shopping dans la boutique solidaire pour les plus démunies d'entre nous ... en foulards et autres accessoires. Clin d'œil Puis nous rencontrons le représentant actuel de cette structure, Arvind Ojha, un homme d'une grande sagesse qui nous décline tout ce qu'entreprend URMUL pour améliorer la condition et le sort des femmes notamment. Dans une région très conservatrice, l'initiative était audacieuse ! Ce personnage me fait penser aux gens exceptionnels que Yann Arthus Bertrand rencontre dans ses reportages. A côté d'eux, on se sent à la fois nain et inutile. Présentons maintenant cette fondation.

URMUL a été créée en 1983/1984. A l'origine c'est une association de laitiers du nord du Rajasthan. Forts de valeurs d'entraide et de solidarité, ses membres ont décidé de venir en aide en priorité aux plus défavorisés, en l'occurrence les femmes et les enfants. Au début, une partie des hommes étaient réticents mais les mentalités ont peu à peu évolué et à ce jour des centaines de milliers de femmes et d'enfants ont bénéficié d'un soutien. Celui-ci peut prendre de nombreuses formes dans divers domaines : santé, éducation, conditions de vie, défense des droits ... Pour la santé par exemple, des campagnes de prévention ont eu lieu sur des thèmes comme faire bouillir l'eau pour la purifier, la malnutrition, l'anémie, la malaria ... Des traitements médicamenteux ont été distribués, des contrôles de la vue réalisés, des ambulances pour le transport à l'hôpital acquises et mises à disposition ... Avant les sages-femmes ne disposaient pas de tout le matériel dont elles avaient besoin ce qui causait de nombreuses morts en couche ou juste après. Par le biais de formations puis la vente à un prix symbolique de certains matériels comme des gants (pour ne pas tomber dans l'assistanat), la situation sanitaire s'est améliorée et le taux de mortalité a reculé. Enfin, des ateliers autour du SIDA ont été montés à destination des femmes car les maris étaient hostiles à toute protection.

Dans le domaine de l'éducation, URMUL a incité les familles à envoyer leurs enfants à l'école qui est en plus gratuite et théoriquement obligatoire jusqu'à 14 ans. Pour ça, elle a mis en place des "écoles du désert" pour rapprocher les lieux d'enseignement des enfants et a agi pour améliorer le niveau général. Elle a aussi mis au point un dispositif recourant au Braille pour ceux qui ont des problèmes visuels. Pour les plus adolescents, notamment les déscolarisés, des stages ou des cours d'informatique ont été imaginés. Pour convaincre les plus réticents des parents, les bénévoles communiquent sur le fait qu'en envoyant les filles à l'école tout le monde y gagne au final : la famille de la jeune fille sur le montant de la dot, celle du futur mari car une femme éduquée pourra travailler et donc ramener plus d'argent.

En matière de conditions de vie, des animaux ont été distribués aux plus pauvres, des mécanismes de microcrédits ont été proposés à l'échelle des villages, une espèce de banque aussi pour conserver le salaire des femmes et ainsi éviter que le mari ne se l'approprie pour aller le dépenser à des futilités. Chaque mois, une réunion permet de donner une chance tant à ceux qui ont une compétence (don de matériel) qu'aux autres (formation dispensée par les premiers cités). Des métiers à tisser ont par exemple été distribués et des petites communautés constituées. Les bénéficiaires peuvent vendre leur production à URMUL qui leur garantit un prix fixe. Autre point important : personne n'est lié indéfiniment à la communauté donc s'il y a un moyen de mieux gagner sa vie ailleurs, les membres sont libres de partir. De manière générale, il y a un partage des profits qui tient compte de l'expertise des uns et des autres mais aucun travailleur ne gagne moins que le minimum légal.

Enfin, URMUL a un nouveau crédo depuis quelques années : la lutte contre le mariage des enfants au Rajasthan. Cette pratique permet à la famille de verser une dot moindre et de compter une bouche en moins à nourrir. Il faut à ce sujet savoir que 55% des jeunes filles sont mariées avant 15 ans dans cet Etat et même 17% avant 10 ans ! La fondation a donc décidé de collecter des fonds et de communiquer sur le fait qu'en cas d'abandon de cette pratique, elle contribuera à l'éducation et veillera à la santé des enfants concernées.

URMUL intervient également au Pakistan mais toujours à destination des habitants du désert. Elle possède désormais de nombreux partenaires dans le monde dont Plan France et Rencontres au Bout du Monde. Cette dernière coopération a par exemple abouti à la construction de toilettes près des habitations pour améliorer le confort des touristes solidaires qui viennent partager le quotidien des locaux. Mais elle a aussi permis de réduire les risques de viols pour nombre de femmes et de filles qui ont désormais un chemin moins long à parcourir de nuit.

Arvind Ojha est passionnant à écouter et l'action de sa fondation mérite tant le respect que l'admiration.

La tête encore remplie de toutes ces informations, nous repartons en direction de nos secondes familles d'accueil. Depuis plusieurs jours, j'ai émis le souhait de ne pas rester seul dans l'une d'elles à cause des difficultés qu'il y a à aborder des femmes hindoues quand on est un homme en Inde. En venant ici, j'ai souhaité partager le quotidien de chacun et tenter de comprendre un peu leur mode de vie. Je n'ai pas envie d'avoir qu'une vision partielle et biaisée du fait d'usages en vogue ici. J'en ai donc fait la demande à Rencontres au Bout du Monde, à Patrick et à Jimmy respectivement. Heureusement pour moi, et je les en remercie énormément, Marie et Virginie m'ont assuré depuis plusieurs jours déjà qu'elles étaient partantes sur l'idée de séjourner ensemble dans une même famille en occultant mon statut de cas social et en me prévenant des nombreux désagréments que je pourrais subir (directement inspirés d'une animation de DreamWorks).

Chemin faisant, toute indication directionnelle tend à disparaître et Jimmy est obligé de demander régulièrement des renseignements aux personnes croisées au hasard. La scène est à chaque fois assez déconcertante comme vous allez le comprendre avec le parallèle suivant. En France, dans une telle situation on dirait : "Bonjour ! Excusez-moi de vous déranger. Pourriez-vous m'indiquez la direction de xxx, s'il vous plait ? ... Je vous remercie. Au revoir et bonne journée !". La version indienne est plus condensée puisqu'il n'est pas convenable de remercier ou de s'excuser. Du coup, notre véhicule freine à hauteur d'un passant, Jimmy demande tout de go "La direction de xxx ?" et nous repartons illico sans perdre le temps dans les formalités et à peine certains que la phrase vient de se terminer.

Comme nous sommes proches du Pakistan et dans une région partiellement interdite aux touristes, nous faisons un détour par une gendarmerie pour nous enregistrer. Les fonctionnaires sont si surpris d'avoir du travail qu'il le confie à Jimmy. Travail de nuit, on ne rigole pas avec ça dans la Fonction Publique ! A écrire cela, je comprends mieux l'attitude de notre guide plus tard dans les champs : ayant travaillé aujourd'hui, un samedi, il sera alors en récup'. Pendant ce temps, nous sommes dans la cour sur des chaises que l'on nous a gentiment apportées de toute la caserne. La situation ne va pas tarder à dégénérer : une voiture débarque avec plusieurs agents et un homme gardé à vue. Le ton monte puis on entend distinctement des bruits sourds que je prends pour des objets frappant un mur. Peu après, l'une de nous raconte qu'elle voit depuis sa place l'homme amené ici qui prend des coups. Et au son pas qu'un peu ... Quel que soit son forfait, je commence à me sentir pas très à l'aise...

Les formalités finissent par se terminer grâce au travail de Jimmy, le supplice aussi du coup tant j'avais hâte de dégager. Nous repartons pour les familles où nous allons être répartis par petits groupes. Je me retrouve avec Virginie et Marie comme nous le souhaitions (enfin sur le principe pour vous). Nous sommes conduits en voiture, dans la nuit, jusqu'à notre hébergement à 500m du point de réunion. Les filles sont dans la cabine avec Assand, je suis sur la plateforme extérieure avec Maryvonne, Fatima et Laurie que l'on va déposer en route. Régulièrement, un indien qui est avec nous à l'arrière nous signale de baisser la tête pour éviter les branches. Et il n'a pas tort car des fois elles nous frôlent de très près. Arrivés à destination nous sommes accueillis dans le noir par de nombreux enfants et quelques femmes. Nous allons être hébergés par Pagluda, le frère d'Assand. La famille est particulièrement grande : 6 frères plus 3 soeurs (tous ne sont pas là) et 52 enfants ! A eux tous, ils constituent presque un hameau dans le village. La maison en pisé comporte 3 pièces : la cuisine, une chambre-salon-salle à manger et une chambre. Nous sommes logés dans la dernière sur des lits tressés.

Après s'être délestés des bagages, nous rejoignons la pièce principale mitoyenne pour faire les présentations. La maman de 72 ans nous rejoint. En bruit de fond, la télé qui rassemble tout le monde car il y a un match de cricket disputé par l'Inde. Peu après, nous avons le droit à une démonstration du métier à tisser par Pagluda. Sous un abri attenant à la maison, il possède un grand modèle. Il s'enfonce dans son trou et commence à tisser une tunique noire décorée de quelques bandes de couleurs. Les deux plus grandes fillettes, Mamta et Sunder, nous rejoignent pour me décorer les mains au henné, bien que cette pratique soit normalement réservée aux femmes, puis s'attaquer aux pieds des filles. Une fois la pâte posée, il faut attendre 30 minutes avant de la gratter. Pas très pratique pour manger ... Marie et Virginie ont même la chance d'avoir un vernis flashy de jeunes princesses. Le gratter va devenir pour elles une occupation récurrente jusqu'à la fin du voyage sachant que plusieurs de nos hôtes se montreront généreux avec elles sur ce plan.

Le repas étant prêt, nous retournons dans le salon où nous sommes conviés à suivre le cricket en même temps. Régulièrement, la famille s'enflamme alors que l'action ne parait pas plus impressionnante que la précédente ni mieux jouée. D'ailleurs on se risquera de temps en temps à faire les étonnés mais comme souvent en décalé nous n'en avons pas du tout abusé. Nous terminons notre dessert à base de céréales au chocolat et constatons avec un mix d'horreur et d'incrédulité que la partie doit encore durer 54 coups. Quand on sait la durée d'un coup et vu que l'on ne comprend rien, ça risque de durer une éternité, surtout qu'il y a des spots publicitaires toutes les 2/3 minutes ! Une coupure d'électricité salvatrice nous permet de trouver une échappatoire. Nous poussons un "ooooh" de circonstance pour leur faire croire à notre amère déception de ne pouvoir assister à la fin de ce Graal puis réussissons à nous éclipser quelques minutes. Au retour, tout le monde est prêt à aller se coucher... sauf la femme de Pagluda qui s'affaire à la vaisselle dans l'obscurité. Nous décidons de lui donner un coup de main, partageons la frontale et attaquons. Ici pas d'eau courante : la vaisselle se fait au sable.  Il s'agit de mettre quelques poignées dans les éléments à laver puis de frotter comme cela se pratique dans d'autres coins du monde. Tout ressort propre. Voilà un lave-vaisselle écologique ! Brossage de dents sous la Voie Lactée avant de partir au lit. La famille dort en majorité dehors, juste devant notre porte, à 2 ou 3 par lit...

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