Morarka et la 1ère famille

Mercredi 8 octobre 2014

Ce matin, la journée démarre plus tardivement. En l'absence de Jimmy qui est rentré dormir chez lui, nous nous retrouvons à la salle de petit déjeuner. Fini par se présenter un homme à turban qui cherche un membre du groupe parlant anglais ou au moins le massacrant. Je ne sais pourquoi je suis désigné par la plupart de mes compagnons de voyage avant même d'avoir pu comprendre la question (je plaisante). L'homme me demande gentiment de le suivre. Que va-t-il m'arriver ? Vais-je faire la plonge ? Est-ce un enlèvement ? Nous allons faire la chenille ? Non. En fait, il s'agit d'un responsable de la logistique qui souhaite nous présenter notre nouveau minibus et savoir s'il nous convient. Ben déjà que le précédent m'allait bien ... Le nouveau véhicule possède des sièges "maharadja", une clim individuelle, des rideaux et même des filets aux sièges ! N'étant pas très à l'aise avec la situation, je n'ai pas la présence d'esprit de sortir un mot sur ce sous-équipement chronique. Même pas de poignée sur les parois pour s'accrocher... Je me contente donc de préciser dans mon meilleur anglais de niveau maternelle qu'à coup sûr chacun de nous sera comblé par ce changement, ce que je traduis de façon modeste par "good ... very good". Je retourne ensuite faire mon rapport au groupe et Jimmy ne tarde pas à se pointer.

Nous allons démarrer la journée par un passage chez lui. Nous traversons donc cette ville de 6 millions d'habitants pendant un moment. Elle s'étale en effet sur 35km de long et a une superficie de 200km. Le prix du terrain y est élevé et peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d'euro. Enfin les communautés se regroupent par quartier, comme chez nous dans le fond...

Nous parvenons dans un quartier à proximité d'une gare de banlieue. Dans la maison de Jimmy, nous retrouvons Jyoti sa femme et découvrons sa grand-mère Shanti, sa mère Indira et sa soeur Rina. Celles-ci nous offrent un thé indien contenant cardamome, clous de girofle et gingembre. Après quelques échanges sur leur situation personnelle à chacune, nous visitons le logement en plein travaux d'agrandissement. Petite photo d'adieu et nous voilà repartis ...

Jusqu'à midi, nous traversons les paysages usuels du Rajasthan : des étendues arides sur lesquelles ont été plantées dans les années 1960 des mimosas et des acacias (environ 75% des essences) afin de boiser le désert.

Pour le déjeuner, nous parvenons dans un des centres de recherche de la fondation Morarka. Créée au milieu des années 1990 par Kamal Morarka, un industriel dans le textile, homme politique et surtout philanthrope vivant à Bombay mais originaire de la région, le but premier de cette entité était de lutter contre les problèmes de sécheresse et leur impact sur la production alimentaire. La région du Shekhawati dans laquelle nous nous trouvons est en effet semi-désertique. Avec l'utilisation massive d'engrais, les rendements ont progressivement baissé et la terre s'est appauvrie. Le postulat de départ de Morarka a été que si sa méthode fonctionnait ici, elle pourrait être déployée ailleurs dans le pays où le sol est plus fertile. Pour cela, il a remis au goût du jour des techniques ancestrales comme l'utilisation de la lombriculture pour oxygéner la terre, la fumigation pour lutter contre les invasions de sauterelles ou la production d'un engrais à base d'urine de vache, de feuilles de margot, de branches d'acacia et de poivre mis à fermenter au soleil. Il a aussi acheté des semences de meilleure qualité à Delhi, a acquis des tracteurs et fait percé des puits. Les premières récoltes lui ont rapidement donné raison : tandis qu'auparavant une sur 3 posait problème, désormais il est possible d'en envisager deux à l'année (semailles en août pour une récolte en janvier, puis mars et juillet). Morarka a ensuite cherché à se diversifier verticalement et horizontalement. Dans le premier cas, il s'est attaqué au reste de la filière en supprimant les intermédiaires pour réduire les marges et donc permettre aux agriculteurs de mieux vivre de leur travail. Il a aussi développé des entrepôts de stockage pour conserver la production. Dans le second cas, il a misé sur le tourisme solidaire comme autre source de rentrée de devises ou la création de havelis, des résidences pouvant abriter une cinquantaine de personnes, commerçants ou guerriers et régies par un ancien. Enfin, pour valoriser les agriculteurs qui l'ont rejoint par milliers, il a mis en place un certificat garantissant notamment l'utilisation de méthodes respectueuses de l'environnement. Ce label est aujourd'hui obtenu par  60% des membres environ. En outre, Morarka exporte dans 7 pays dont l'Australie, l'Allemagne, les Etats-Unis ou le Japon. Selon les déclarations de nos interlocuteurs sur place, 600 000 personnes bénéficient des recherches et agissent dans le cadre de la fondation en Inde. D'autres sources (site internet de la fondation) parlent même du million ! Ils produisent toute sorte de denrées et de biens : thé du Darjeeling et du Kerala, riz, savon, textile, douceurs ...

Le centre dans lequel nous nous trouvons permet de former les agriculteurs des alentours, de leur dispenser des conseils et de poursuivre les recherches. Ce type de structures tend à se multiplier pour limiter les déplacements trop contraignants et trop coûteux.

A l'issue des explications et alors que nous nous apprêtons à affecter un tour dans les parcelles pour mieux comprendre, la pluie commence à tomber pour devenir une averse de mousson qui remplit les rues d'eau. Nous nous replions donc pendant une demi-heure dans la boutique solidaire qui fuit en plusieurs endroits. L'occasion de goûter du gingembre et des baies confites ou de déguster un nouveau thé indien avant de s'intéresser à la production très diversifiée. J'y ai pour ma part acquis un savon qui, après avoir embaumé mon sac de voyage, continue aujourd'hui de parfumer agréablement ma salle de bain.

La douche extérieure s'atténuant, nous reprenons le véhicule pour rejoindre la première famille de notre séjour. Celle-ci va nous héberger pour les deux prochaines nuits. Chemin faisant, nous empruntons une piste sur les derniers kilomètres. Avec l'orage, un arbre s'est renversé et obstrue le passage. Notre chauffeur, Jimmy et un partenaire local devant nous introduire dans la famille descendent et tentent de le dégager en tirant en vain dans le mauvais sens. Ils parviennent même à enrôler un passant dans la manoeuvre. Mais ce sera le seul : tous les autres ne jetterons qu'un coup d'oeil curieux avant de repartir comme si de rien n'était... Après tout ce n'est pas leur arbre ... Quant à nous, je dois souligner que notre proposition d'assistance a été balayée d'un revers de  main. Au bout de quelques minutes, les efforts payent et 3 chemises classe maculées de boue et de feuilles d'arbre remontent à bord. Quelle conviction dans le respect de l'environnement ! Ils vont même jusqu'à faire corps avec lui ...

Nous arrivons chez Sushila et sommes reçus sous un appentis. Celle-ci, en tant que maitresse de maison, nous accueille en posant sur notre front le tilak, marque à base de poudre de curcuma et de grains de riz. C'est à ce moment que surgissent de nulle part deux improbables créatures : deux poussins, l'un orange fluo et l'autre vert fluo ! Et avec la pluie, cette couleur paraît naturelle. C'est quoi l'étape suivante : les poules qui ont des dents ou le mouton à 5 pattes ? Dans le doute, nous ne ferons pas ouvrir le bec des poussins et passons à la répartition des habitations. En tant que privilégié, la proposition de Marie et Virginie de partager leur yourte en pierre communiste n'est pas retenue pour que je puisse bénéficier comme Maric et Jean-Luc d'une vraie jophra, cet habitat aux parois en branchage ajourées et au toit en paille typique de la région. C'est quand même plus "authentique", non ?

Peu après mon installation, les enfants de la famille viennent un moment discuter de l'école qu'ils rejoignent en bus, de leurs classes de 30 élèves environ, de leurs matières préférées... Sans aucun doute émerveillées par une "vraie" jophra, la compagnie s'agrandit avec l'arrivée de mes voisines, résidant dans la résidence communiste. Je vous taquine un peu mais ne m'en voulez pas : au moins, grâce à moi, vous aurez passé un peu de temps dans une jophra traditionnelle...Clin d'œil

A la nuit tombante, donc peu après, nous pouvons gagner la cuisine pour un premier moment de partage avec nos hôtes autour de la préparation du repas. Nous prenons place au sol sur quelques nattes car pour eux il est inconcevable que nous nous asseyions directement par terre. Après quelques minutes, Niki, la jeune fille de la maison, commence à chanter et danser. Sur l'initiative de plusieurs d'entre nous, notamment Maric et Jean-Luc, nous prenons le relais avec un classique français que nous chantons en canon. Point de danse en revanche et c'est tant mieux, il ne faudrait pas que j'effraie tout le monde avec mon sens du rythme calamiteux et mon déhanché de pin parasol. La barrière de la langue s'affranchit quelque peu, les rires faisant d'autant plus que Virginie y met beaucoup du sien, sans complexe. Merci parce que tu as beaucoup contribué à notre intégration ! Au terme de ces moments de détente, nous assistons à la cuisson des chapatis.

Vient le moment de rejoindre la table. Sushila et Niki -qui fait le show- se joignent à nous tandis que le service est assuré par les hommes de la famille. De quoi laisser pantoise bien des femmes de ce bas monde je suppose. Au milieu du repas, notre hôte rote, tradition probablement mais qui là-aussi nous prend par surprise ! Quant à nous, nous divertissons beaucoup la famille face à nos réactions avec les épices. Du coup, on en rajoute au niveau des mimiques. Après le diner, Virginie prend l'initiative de faire la vaisselle tandis que Marie est réquisitionnée pour passer le "balai", en fait davantage un plumeau car il manque le manche ...

La soirée se termine par une nouvelle partie de cartes mais la chance a tourné et ne reviendra plus. Peu importe, j'ai encore passé une excellente journée ! Je pars me coucher dans ma jophra sauf que le lit n'est pas assez long ... Aussi ai-je dormi dans le sens de la largeur. Comme dirait un célèbre gaulois : ils sont fous ces indiens !".

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